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    Un « islamisme » télégénique

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    dellys35


    Nombre de messages : 17
    Age : 42
    Date d'inscription : 21/08/2010

    Un « islamisme » télégénique Empty Un « islamisme » télégénique

    Message par dellys35 Dim 22 Aoû - 0:29







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    Un « islamisme » télégénique



    À propos de l’islamophobie refoulée des chaînes de télévision françaises


    par [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], Septembre 2004





    « Avec des
    mots ordinaires, on n’“épate pas le bourgeois”, ni le “peuple”. Il faut
    des mots extraordinaires. En fait, paradoxalement, le monde de l’image
    est dominé par les mots. La photo n’est rien sans la légende qui dit ce
    qu’il faut lire - legendum -, c’est-à-dire bien souvent des légendes qui
    font voir n’importe quoi. Nommer, on le sait, c’est faire voir, c’est
    créer, porter à l’existence. Et les mots peuvent faire des ravages :
    islam, islamique, islamiste - le foulard est-il islamique ou islamiste ?
    Et s’il s’agissait d’un fichu, sans plus ? Il m’arrive d’avoir envie de
    reprendre chaque mot des présentateurs qui parlent souvent à la légère
    sans avoir la moindre idée de la difficulté et de la gravité de ce
    qu’ils évoquent et des responsabilités qu’ils encourent en les
    évoquant, devant des milliers de téléspectateurs, sans les comprendre et
    sans comprendre qu’ils ne les comprennent pas. Parce que ces mots font
    des choses, créent des fantasmes, des peurs, des phobies ou,
    simplement, des représentations fausses. »


    Pierre Bourdieu [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]]

    « Islamisme,
    judaïsme. Judaïsme, islamisme sont des mots très familiers aux
    théologiens, aux philosophes, aux intellectuels. Mais on les rencontre
    très fréquemment aussi sous la plume des journalistes. Car ils leur
    arrivent à ces mots de faire l’actualité, de faire l’histoire, comme si
    nous étions invités à lire la suite de la Bible et du Coran dans notre
    journal. »


    C’est en ces termes que Bernard Pivot introduisait l’édition du 1er
    juin 1979 de son émission « Apostrophes » consacrée ce jour-là justement
    à « l’islamisme » et au « judaïsme ».

    Jusque dans les années 1980, l’« islamisme » conserve un sens proche
    de celui qu’il avait aux 18e et 19e siècles, quand, dans la bouche d’un
    Voltaire, d’un Renan ou d’un Maupassant par exemple, « islam »,
    « islamisme » et « mahométisme » servaient de synonymes. Le mot
    « islamisme » - qui signifie encore « religion musulmane » selon le
    Robert en 1985 - est peu utilisé, jusqu’au début des années 1990, dans
    les discours destinés au grand public.

    L’« intégrisme », par contre, fait fortune à la télévision à partir
    de 1979. Par une identification directe à la révolution iranienne qui le
    fait se confondre avec le « khomeinisme », il incarne tous les dangers
    dont l’islam serait porteur.

    L’« intégrisme », auquel on associe le « fanatisme », renvoie aussi à
    cette idée un peu simpliste selon laquelle l’islam, dans sa déclinaison
    militante, serait par essence la réactivation archaïque d’un passé à
    tout jamais enterré. Cette terminologie permet en tout cas, dans
    l’esprit des journalistes, d’éviter la stigmatisation des « musulmans »,
    notion qui se confond avec celle d’« immigrés » au moment où
    l’« immigration » se réduit de plus en plus, dans l’imaginaire
    collectif, à ses seules composantes maghrébines et africaines.

    Il faut attendre la fin des années 1980 pour voir une crise
    sémantique apparaître sur le petit écran. Au moment où le mythe du
    « retour » des immigrés s’est envolé, les journalistes prennent
    conscience de la nécessité de qualifier plus précisément ceux des
    « immigrés » qui ne semblent pas être « intégristes » mais qui,
    pourtant, éprouvent un attachement à la religion musulmane. On verra
    ainsi certains journalistes évoquer « les islamiques », catégorie
    intermédiaire entre les « intégristes » et les « musulmans ». Mais
    l’innovation ne prend pas, et on lui préfère rapidement l’expression de
    « musulmans croyants » ou « pratiquants ».

    C’est dans ce contexte, le début des années 1990, que l’« islamisme »
    reprend du service à la télévision. Depuis le milieu des années 1980,
    les chercheurs se demandaient comment définir les nouveaux mouvements se
    réclamant de l’islam [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]].
    Les plus jeunes d’entre eux avaient ainsi ressuscité et redéfini
    l’« islamisme » en y insufflant une connotation politique, se démarquant
    ainsi de la génération précédente. Maxime Rodinson, patriarche de
    l’orientalisme français, explique sa réticence sur l’usage du terme
    « islamisme » :

    « Dans le dictionnaire, ‘Islamisme’ est donné comme un synonyme
    d’islam. Alors, si on choisit ce mot, le lecteur risque de confondre
    entre un extrémiste excité qui veut tuer tout le monde et un homme tout à
    fait raisonnable qui croit en Dieu à la manière musulmane, chose
    parfaitement respectable. »
    [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]]

    Une islamophobie refoulée

    Cette mise en garde n’empêche pas la télévision de s’emparer du
    concept. Il sera en particulier appliquer au Front islamique du salut
    (FIS) fondé en Algérie en 1989. Contrairement aux chercheurs qui
    utilisent le terme avec précaution, les journalistes de télévision en
    font un usage immodéré sans vraiment le maîtriser, comme en témoigne la
    remarque de Patrick Poivre d’Arvor en 1993, qui définit le parti
    politique islamiste le plus emblématique... par son apolitisme :

    « Il convient de ne pas confondre le FIS et ses nébuleuses - les
    islamistes, qui ne veulent pas une action politique mais uniquement
    religieuse - , et puis l’ensemble des musulmans, pour lesquels le Coran
    est une référence de vie. »

    [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]]

    Pendant plusieurs années, l’« islamisme » navigue dans la bouche des
    journalistes et fait malencontreusement le pont, par l’inertie des mots
    et des images, entre l’« islam » et le « terrorisme ». L’Union des
    organisations « islamiques » de France devient bien souvent l’Union des
    organisations « islamistes » de France. Le terrorisme est
    systématiquement « islamique » alors même qu’on multiplie les
    micro-trottoirs auprès des musulmans qui s’époumonent à dire que « les attentats n’ont rien à voir avec l’islam ».

    Au milieu des années 1990, les reportages se mettent à dénoncer
    systématiquement ce qu’ils appellent « les amalgames ». Malgré cette
    autocritique, les confusions, les ambiguïtés et les ambivalences
    demeurent plus présentes que jamais. Pour nombre de téléspectateurs,
    changer les mots ne change pas grand chose. Le foulard reste
    « intégriste » même quand on ne l’appelle plus « tchador » mais voile
    « islamique ». Les musulmans restent « communautaristes » même quand on
    dit que « dans sa grande majorité, la communauté musulmane est intégrée ». Ceux d’entre eux qui portent la barbe restent « des Barbus » quand bien même on dirait : « ceci n’est pas une barbe ».

    Si les commentaires répètent inlassablement que l’« islam est une
    religion de paix », la plupart des reportages font rimer « islam » avec
    « problème ». Une étude statistique montre clairement que ce qui amène
    la télévision à parler d’islam est toujours lié à ce qui est perçu comme
    une menace et une agression, à commencer par le voile et le terrorisme.
    Dès que les crises s’apaisent, la religion musulmane disparaît du petit
    écran, et les « musulmans modérés » avec elle.

    La thématique des « amalgames » dans le langage des journalistes est
    problématique. Car, dénoncer les « amalgames » permet bien souvent de se
    dédouaner d’en faire. Parfois même c’est justement pour pouvoir
    dénoncer ce qui leur semble être « islamiste » qu’ils convoquent des
    musulmans qu’ils baptisent « modérés ». Un peu comme un raciste qui
    mentionne son « ami Arabe » ou son « voisin Noir ». Les journalistes
    reconnaissent d’ailleurs, implicitement, qu’ils relaient une vision
    négative de l’islam : les rares reportages qui se veulent volontairement
    bienveillants à l’égard des musulmans rappellent presque
    immanquablement qu’il faut « lutter contre les idées reçues ». Mais s’il y a des idées reçues, par qui ont-elles été données ?

    Si nous devions faire des typologies, nous classerions certainement
    le discours télévisé dans la catégorie de l’« islamophobie refoulée » ou
    de la « dénégation islamophobe ». Le journalisme télévisuel se
    distingue à cet égard d’autres formes de journalisme, en particulier de
    la presse écrite où l’on trouve une plus grande diversité. Quelques
    titres flirtent avec l’islamophobie revendiquée de type xénophobe ou
    raciste (la religion musulmane serait un élément irréductiblement
    « étranger »). D’autres, beaucoup moins rares, nourrissent une
    islamophobie revendiquée de type anti-religieuse (en tant que religion,
    l’islam serait irrationnel et obscurantiste). Certains journaux se
    montrent plus « islamophiles ». La variété de ces prises de positions
    s’explique principalement par le fait que chaque organe de presse écrite
    se destine à un lectorat circonscrit à un segment donné de la société
    française.

    Dans le cas de la télévision, qui s’adresse à un public de masse et
    trans-catégoriel, les choses sont un peu différentes puisque les
    journalistes se veulent plus consensuels. L’idée générale à la
    télévision consiste à tenter de choquer le moins possible les différents
    publics auxquels elle s’adresse et de rester à équidistance de
    positions trop tranchées. De fait, les journalistes de télévision se
    présentent dans leur grande majorité comme des « islamophiles », qui
    parlent de l’islam comme d’une belle et grande religion, mais aussi
    comme des « islamistophobes » [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]],
    qui ne cessent de dénoncer l’« islamisme ». Le compromis paraît
    acceptable au premier abord. Il bute cependant sur l’imprécision des
    termes.

    Une vision binaire de l’islam

    Depuis les années 1990, la notion d’« islamisme » a subi une tentative de codification. « L’islam est une religion, l’islamisme est une idéologie », explique ainsi Mohamed Sifaoui, collaborateur du journal Marianne et auteur de plusieurs reportages télévisés sur l’« islamisme » :

    « Avant tout propos, ajoute-t-il, il est aujourd’hui important,
    nécessaire même, de faire cette précision - de taille - afin de lever
    toutes les ambiguïtés et éloigner tout amalgame. »
    [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]]

    Les velléités de M. Sifaoui sont certainement salutaires. Mais il
    aurait été utile, pour bien faire, qu’il explique aussi où il place la
    limite entre la « religion » et l’« idéologie ».

    A vouloir absolument maintenir une vision morale et binaire qui
    distingue le « bon » du « mauvais » islam, le journalisme télévisé -
    mais il n’est pas le seul - se retrouve dans une situation ambiguë. Il a
    certes commencé à réformer, oralement et formellement, la vision occidentale séculaire d’un islam intrinsèquement nuisible et étranger [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]], mais il continue, dans le même temps, à relayer, implicitement et sur le fond, une vision toujours négative d’un phénomène religieux qu’il perçoit comme suspect et extérieur.

    Il manque parmi les journalistes d’une réflexion sur la présence
    publique du fait religieux dans la société française. Trop nombreux sont
    ceux qui réagissent en fonction de ce qui leur semble instinctivement
    entrer ou non dans la « normalité ». Et il se trouve que ce qui paraît
    « normal » pour les autres religions ne l’est pas, de leur point de
    vue, pour l’islam. On parle avec bienveillance d’un jeune catholique qui
    participe aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), mais on regarde
    toujours avec suspicion un musulman qui participe à un rassemblement à
    la Courneuve, par exemple. Une collégienne voilée expulsée d’un
    établissement de Thann en Alsace attire une nuée de caméras, mais les
    reportages qui s’interrogent sur le financement public des cours de
    religion catholique, juive et protestante dans la même région se
    comptent sur les doigts de la main. Les prises de position politiques
    des évêques ne posent aucun problème, mais la moindre activité sociale
    menée par une association musulmane ravive la crainte de
    l’« islamisation », terme dont on ne sait d’ailleurs pas s’il se réfère à
    l’« islam » ou à l’« islamisme ».

    On aboutit à une situation où la moindre visibilité de l’islam dans
    l’espace public tend à être perçue comme suspecte d’« islamisme ». Ce
    qui ne va pas sans poser quelques problèmes pour un média comme la
    télévision où le rapport à l’image est primordial et où, dans le même
    temps, on somme la religion musulmane de « rester du domaine du privé ».
    En exposant publiquement l’image de l’intimité musulmane, la télévision
    rend encore plus ténue la limite entre l’« islam » et l’« islamisme ».

    Toute la question est bien celle des frontières. Les distinctions
    entre « islam » et « islamisme » sont parfaitement illusoires si on ne
    sait pas à quelle réalité ces termes sont appliqués. On s’étonnera, par
    exemple, d’entendre des journalistes estimer que « 90% » ou « 99% » [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]]
    des musulmans sont « paisibles », sans jamais dire quelles sont leurs
    définitions de « paisible » ou de « musulmans » et sans apparemment
    prendre conscience que nul n’est même en possession de statistiques
    fiables sur le nombre de « musulmans » en France.

    Brouillage sémantique

    L’analyse des images et des discours transmis par la télévision
    montre un chevauchement continuel entre des notions que trop de
    journalistes croient, à tort, inscrites dans le marbre de la réalité
    sociale. De fait, les journalistes peuvent parler du « terrorisme »,
    beaucoup de téléspectateurs comprendront « islamisme ». Ils peuvent dire
    « islamisme », tout le monde entendra « islam ». Et ainsi de suite avec
    « immigré », « étranger », « banlieue », etc.

    On trouvera un exemple, entre mille, dans cette remarque de la responsable du service Société de France 2 dans une émission largement consacrée à l’islam [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]] :

    « On sait que les femmes issues de l’immigration sont deux fois
    plus nombreuses que les Françaises à subir des agressions sexuelles »
    [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]].

    D’où vient cette idée que les « femmes issues de l’immigration » ne
    sont pas « Françaises » ? Combien de temps faudra-t-il qu’on fasse un
    lien systématique entre « islam » et « immigration » ? Est-il nécessaire
    de faire référence aux « agressions sexuelles » quand on parle
    d’« immigration » ? Autant d’impensés, plus ou moins graves mais d’une
    banalité inquiétante, qui laissent perplexe sur le fonctionnement de la
    rubrique Société sur la chaîne publique.

    Tant que les journalistes de télévision ne chercheront pas à
    déconstruire les mythes profondément ancrés dans les esprits et se
    limiteront à quelques dénégations superficielles, ils se condamneront,
    si ce n’est à constituer le moteur principal de l’« islamophobie », du
    moins à en être un puissant véhicule.

    Le terme d’« islamisme » étant à nouveau entré dans une période de
    crise ces derniers temps, en particulier depuis le 11 septembre 2001,
    les médias ont entrepris d’étoffer leur vocabulaire. On a ainsi vu se
    multiplier les déclinaisons de l’« islamisme » et de l’« intégrisme »
    des décennies précédentes :

    « islamisme modéré », « islamisme radical », « islamisme politique » mais aussi « islam radical », « communautarisme », « fondamentalisme », « salafisme », « djihadisme » ...

    Autant de termes qui pourraient contribuer utilement à une meilleure
    compréhension et à une plus grande nuance dans les propos. Mais, une
    fois encore, trop de journalistes semblent s’être mal appropriés les
    concepts. Les mots et images se superposent et s’entrechoquent. En
    dehors du fait que le flou autour des concepts puisse assurer, à peu de
    frais, un statut de fin connaisseur à celui qui l’entretient, ces termes
    ont pour conséquences de renvoyer à leur « étrangeté » ces « mauvais
    musulmans » qu’on préfère juger que comprendre.

    Le brouillage des termes empêche malheureusement à ceux des
    téléspectateurs qui peuvent éprouver une appréhension légitime à
    l’égard de la religion musulmane de percevoir les vrais enjeux, de
    circonscrire les dangers, de dégonfler les fantasmes et d’écouter
    éventuellement les revendications elles aussi légitimes des musulmans.
    La confusion empêche aux journalistes de se questionner sur leur propre
    rapport à l’« islam » et aboutit à la disqualification de toute
    tentative qui viserait justement à les inciter à mener cette nécessaire
    réflexion.







    P.-S.


    Ce texte est paru également dans la revue Actualis
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    dellys35


    Nombre de messages : 17
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    Date d'inscription : 21/08/2010

    Un « islamisme » télégénique Empty Re: Un « islamisme » télégénique

    Message par dellys35 Dim 22 Aoû - 0:30

    dellys35 a écrit:

    Un « islamisme » télégénique

    Un « islamisme » télégénique
    À propos de l’islamophobie refoulée des chaînes de télévision françaises
    par [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], Septembre 2004

    « Avec des
    mots ordinaires, on n’“épate pas le bourgeois”, ni le “peuple”. Il faut
    des mots extraordinaires. En fait, paradoxalement, le monde de l’image
    est dominé par les mots. La photo n’est rien sans la légende qui dit ce
    qu’il faut lire - legendum -, c’est-à-dire bien souvent des légendes qui
    font voir n’importe quoi. Nommer, on le sait, c’est faire voir, c’est
    créer, porter à l’existence. Et les mots peuvent faire des ravages :
    islam, islamique, islamiste - le foulard est-il islamique ou islamiste ?
    Et s’il s’agissait d’un fichu, sans plus ? Il m’arrive d’avoir envie de
    reprendre chaque mot des présentateurs qui parlent souvent à la légère
    sans avoir la moindre idée de la difficulté et de la gravité de ce
    qu’ils évoquent et des responsabilités qu’ils encourent en les
    évoquant, devant des milliers de téléspectateurs, sans les comprendre et
    sans comprendre qu’ils ne les comprennent pas. Parce que ces mots font
    des choses, créent des fantasmes, des peurs, des phobies ou,
    simplement, des représentations fausses. »

    Pierre Bourdieu [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]]
    « Islamisme,
    judaïsme. Judaïsme, islamisme sont des mots très familiers aux
    théologiens, aux philosophes, aux intellectuels. Mais on les rencontre
    très fréquemment aussi sous la plume des journalistes. Car ils leur
    arrivent à ces mots de faire l’actualité, de faire l’histoire, comme si
    nous étions invités à lire la suite de la Bible et du Coran dans notre
    journal. »


    C’est en ces termes que Bernard Pivot introduisait l’édition du 1er
    juin 1979 de son émission « Apostrophes » consacrée ce jour-là justement
    à « l’islamisme » et au « judaïsme ».

    Jusque dans les années 1980, l’« islamisme » conserve un sens proche
    de celui qu’il avait aux 18e et 19e siècles, quand, dans la bouche d’un
    Voltaire, d’un Renan ou d’un Maupassant par exemple, « islam »,
    « islamisme » et « mahométisme » servaient de synonymes. Le mot
    « islamisme » - qui signifie encore « religion musulmane » selon le
    Robert en 1985 - est peu utilisé, jusqu’au début des années 1990, dans
    les discours destinés au grand public.

    L’« intégrisme », par contre, fait fortune à la télévision à partir
    de 1979. Par une identification directe à la révolution iranienne qui le
    fait se confondre avec le « khomeinisme », il incarne tous les dangers
    dont l’islam serait porteur.

    L’« intégrisme », auquel on associe le « fanatisme », renvoie aussi à
    cette idée un peu simpliste selon laquelle l’islam, dans sa déclinaison
    militante, serait par essence la réactivation archaïque d’un passé à
    tout jamais enterré. Cette terminologie permet en tout cas, dans
    l’esprit des journalistes, d’éviter la stigmatisation des « musulmans »,
    notion qui se confond avec celle d’« immigrés » au moment où
    l’« immigration » se réduit de plus en plus, dans l’imaginaire
    collectif, à ses seules composantes maghrébines et africaines.

    Il faut attendre la fin des années 1980 pour voir une crise
    sémantique apparaître sur le petit écran. Au moment où le mythe du
    « retour » des immigrés s’est envolé, les journalistes prennent
    conscience de la nécessité de qualifier plus précisément ceux des
    « immigrés » qui ne semblent pas être « intégristes » mais qui,
    pourtant, éprouvent un attachement à la religion musulmane. On verra
    ainsi certains journalistes évoquer « les islamiques », catégorie
    intermédiaire entre les « intégristes » et les « musulmans ». Mais
    l’innovation ne prend pas, et on lui préfère rapidement l’expression de
    « musulmans croyants » ou « pratiquants ».

    C’est dans ce contexte, le début des années 1990, que l’« islamisme »
    reprend du service à la télévision. Depuis le milieu des années 1980,
    les chercheurs se demandaient comment définir les nouveaux mouvements se
    réclamant de l’islam [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]].
    Les plus jeunes d’entre eux avaient ainsi ressuscité et redéfini
    l’« islamisme » en y insufflant une connotation politique, se démarquant
    ainsi de la génération précédente. Maxime Rodinson, patriarche de
    l’orientalisme français, explique sa réticence sur l’usage du terme
    « islamisme » :

    « Dans le dictionnaire, ‘Islamisme’ est donné comme un synonyme
    d’islam. Alors, si on choisit ce mot, le lecteur risque de confondre
    entre un extrémiste excité qui veut tuer tout le monde et un homme tout à
    fait raisonnable qui croit en Dieu à la manière musulmane, chose
    parfaitement respectable. »
    [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]]

    Une islamophobie refoulée

    Cette mise en garde n’empêche pas la télévision de s’emparer du
    concept. Il sera en particulier appliquer au Front islamique du salut
    (FIS) fondé en Algérie en 1989. Contrairement aux chercheurs qui
    utilisent le terme avec précaution, les journalistes de télévision en
    font un usage immodéré sans vraiment le maîtriser, comme en témoigne la
    remarque de Patrick Poivre d’Arvor en 1993, qui définit le parti
    politique islamiste le plus emblématique... par son apolitisme :

    « Il convient de ne pas confondre le FIS et ses nébuleuses - les
    islamistes, qui ne veulent pas une action politique mais uniquement
    religieuse - , et puis l’ensemble des musulmans, pour lesquels le Coran
    est une référence de vie. »

    [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]]

    Pendant plusieurs années, l’« islamisme » navigue dans la bouche des
    journalistes et fait malencontreusement le pont, par l’inertie des mots
    et des images, entre l’« islam » et le « terrorisme ». L’Union des
    organisations « islamiques » de France devient bien souvent l’Union des
    organisations « islamistes » de France. Le terrorisme est
    systématiquement « islamique » alors même qu’on multiplie les
    micro-trottoirs auprès des musulmans qui s’époumonent à dire que « les attentats n’ont rien à voir avec l’islam ».

    Au milieu des années 1990, les reportages se mettent à dénoncer
    systématiquement ce qu’ils appellent « les amalgames ». Malgré cette
    autocritique, les confusions, les ambiguïtés et les ambivalences
    demeurent plus présentes que jamais. Pour nombre de téléspectateurs,
    changer les mots ne change pas grand chose. Le foulard reste
    « intégriste » même quand on ne l’appelle plus « tchador » mais voile
    « islamique ». Les musulmans restent « communautaristes » même quand on
    dit que « dans sa grande majorité, la communauté musulmane est intégrée ». Ceux d’entre eux qui portent la barbe restent « des Barbus » quand bien même on dirait : « ceci n’est pas une barbe ».

    Si les commentaires répètent inlassablement que l’« islam est une
    religion de paix », la plupart des reportages font rimer « islam » avec
    « problème ». Une étude statistique montre clairement que ce qui amène
    la télévision à parler d’islam est toujours lié à ce qui est perçu comme
    une menace et une agression, à commencer par le voile et le terrorisme.
    Dès que les crises s’apaisent, la religion musulmane disparaît du petit
    écran, et les « musulmans modérés » avec elle.

    La thématique des « amalgames » dans le langage des journalistes est
    problématique. Car, dénoncer les « amalgames » permet bien souvent de se
    dédouaner d’en faire. Parfois même c’est justement pour pouvoir
    dénoncer ce qui leur semble être « islamiste » qu’ils convoquent des
    musulmans qu’ils baptisent « modérés ». Un peu comme un raciste qui
    mentionne son « ami Arabe » ou son « voisin Noir ». Les journalistes
    reconnaissent d’ailleurs, implicitement, qu’ils relaient une vision
    négative de l’islam : les rares reportages qui se veulent volontairement
    bienveillants à l’égard des musulmans rappellent presque
    immanquablement qu’il faut « lutter contre les idées reçues ». Mais s’il y a des idées reçues, par qui ont-elles été données ?

    Si nous devions faire des typologies, nous classerions certainement
    le discours télévisé dans la catégorie de l’« islamophobie refoulée » ou
    de la « dénégation islamophobe ». Le journalisme télévisuel se
    distingue à cet égard d’autres formes de journalisme, en particulier de
    la presse écrite où l’on trouve une plus grande diversité. Quelques
    titres flirtent avec l’islamophobie revendiquée de type xénophobe ou
    raciste (la religion musulmane serait un élément irréductiblement
    « étranger »). D’autres, beaucoup moins rares, nourrissent une
    islamophobie revendiquée de type anti-religieuse (en tant que religion,
    l’islam serait irrationnel et obscurantiste). Certains journaux se
    montrent plus « islamophiles ». La variété de ces prises de positions
    s’explique principalement par le fait que chaque organe de presse écrite
    se destine à un lectorat circonscrit à un segment donné de la société
    française.

    Dans le cas de la télévision, qui s’adresse à un public de masse et
    trans-catégoriel, les choses sont un peu différentes puisque les
    journalistes se veulent plus consensuels. L’idée générale à la
    télévision consiste à tenter de choquer le moins possible les différents
    publics auxquels elle s’adresse et de rester à équidistance de
    positions trop tranchées. De fait, les journalistes de télévision se
    présentent dans leur grande majorité comme des « islamophiles », qui
    parlent de l’islam comme d’une belle et grande religion, mais aussi
    comme des « islamistophobes » [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]],
    qui ne cessent de dénoncer l’« islamisme ». Le compromis paraît
    acceptable au premier abord. Il bute cependant sur l’imprécision des
    termes.

    Une vision binaire de l’islam

    Depuis les années 1990, la notion d’« islamisme » a subi une tentative de codification. « L’islam est une religion, l’islamisme est une idéologie », explique ainsi Mohamed Sifaoui, collaborateur du journal Marianne et auteur de plusieurs reportages télévisés sur l’« islamisme » :

    « Avant tout propos, ajoute-t-il, il est aujourd’hui important,
    nécessaire même, de faire cette précision - de taille - afin de lever
    toutes les ambiguïtés et éloigner tout amalgame. »
    [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]]

    Les velléités de M. Sifaoui sont certainement salutaires. Mais il
    aurait été utile, pour bien faire, qu’il explique aussi où il place la
    limite entre la « religion » et l’« idéologie ».

    A vouloir absolument maintenir une vision morale et binaire qui
    distingue le « bon » du « mauvais » islam, le journalisme télévisé -
    mais il n’est pas le seul - se retrouve dans une situation ambiguë. Il a
    certes commencé à réformer, oralement et formellement, la vision occidentale séculaire d’un islam intrinsèquement nuisible et étranger [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]], mais il continue, dans le même temps, à relayer, implicitement et sur le fond, une vision toujours négative d’un phénomène religieux qu’il perçoit comme suspect et extérieur.

    Il manque parmi les journalistes d’une réflexion sur la présence
    publique du fait religieux dans la société française. Trop nombreux sont
    ceux qui réagissent en fonction de ce qui leur semble instinctivement
    entrer ou non dans la « normalité ». Et il se trouve que ce qui paraît
    « normal » pour les autres religions ne l’est pas, de leur point de
    vue, pour l’islam. On parle avec bienveillance d’un jeune catholique qui
    participe aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), mais on regarde
    toujours avec suspicion un musulman qui participe à un rassemblement à
    la Courneuve, par exemple. Une collégienne voilée expulsée d’un
    établissement de Thann en Alsace attire une nuée de caméras, mais les
    reportages qui s’interrogent sur le financement public des cours de
    religion catholique, juive et protestante dans la même région se
    comptent sur les doigts de la main. Les prises de position politiques
    des évêques ne posent aucun problème, mais la moindre activité sociale
    menée par une association musulmane ravive la crainte de
    l’« islamisation », terme dont on ne sait d’ailleurs pas s’il se réfère à
    l’« islam » ou à l’« islamisme ».

    On aboutit à une situation où la moindre visibilité de l’islam dans
    l’espace public tend à être perçue comme suspecte d’« islamisme ». Ce
    qui ne va pas sans poser quelques problèmes pour un média comme la
    télévision où le rapport à l’image est primordial et où, dans le même
    temps, on somme la religion musulmane de « rester du domaine du privé ».
    En exposant publiquement l’image de l’intimité musulmane, la télévision
    rend encore plus ténue la limite entre l’« islam » et l’« islamisme ».

    Toute la question est bien celle des frontières. Les distinctions
    entre « islam » et « islamisme » sont parfaitement illusoires si on ne
    sait pas à quelle réalité ces termes sont appliqués. On s’étonnera, par
    exemple, d’entendre des journalistes estimer que « 90% » ou « 99% » [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]]
    des musulmans sont « paisibles », sans jamais dire quelles sont leurs
    définitions de « paisible » ou de « musulmans » et sans apparemment
    prendre conscience que nul n’est même en possession de statistiques
    fiables sur le nombre de « musulmans » en France.

    Brouillage sémantique

    L’analyse des images et des discours transmis par la télévision
    montre un chevauchement continuel entre des notions que trop de
    journalistes croient, à tort, inscrites dans le marbre de la réalité
    sociale. De fait, les journalistes peuvent parler du « terrorisme »,
    beaucoup de téléspectateurs comprendront « islamisme ». Ils peuvent dire
    « islamisme », tout le monde entendra « islam ». Et ainsi de suite avec
    « immigré », « étranger », « banlieue », etc.

    On trouvera un exemple, entre mille, dans cette remarque de la responsable du service Société de France 2 dans une émission largement consacrée à l’islam [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]] :

    « On sait que les femmes issues de l’immigration sont deux fois
    plus nombreuses que les Françaises à subir des agressions sexuelles »
    [[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]].

    D’où vient cette idée que les « femmes issues de l’immigration » ne
    sont pas « Françaises » ? Combien de temps faudra-t-il qu’on fasse un
    lien systématique entre « islam » et « immigration » ? Est-il nécessaire
    de faire référence aux « agressions sexuelles » quand on parle
    d’« immigration » ? Autant d’impensés, plus ou moins graves mais d’une
    banalité inquiétante, qui laissent perplexe sur le fonctionnement de la
    rubrique Société sur la chaîne publique.

    Tant que les journalistes de télévision ne chercheront pas à
    déconstruire les mythes profondément ancrés dans les esprits et se
    limiteront à quelques dénégations superficielles, ils se condamneront,
    si ce n’est à constituer le moteur principal de l’« islamophobie », du
    moins à en être un puissant véhicule.

    Le terme d’« islamisme » étant à nouveau entré dans une période de
    crise ces derniers temps, en particulier depuis le 11 septembre 2001,
    les médias ont entrepris d’étoffer leur vocabulaire. On a ainsi vu se
    multiplier les déclinaisons de l’« islamisme » et de l’« intégrisme »
    des décennies précédentes :

    « islamisme modéré », « islamisme radical », « islamisme politique » mais aussi « islam radical », « communautarisme », « fondamentalisme », « salafisme », « djihadisme » ...

    Autant de termes qui pourraient contribuer utilement à une meilleure
    compréhension et à une plus grande nuance dans les propos. Mais, une
    fois encore, trop de journalistes semblent s’être mal appropriés les
    concepts. Les mots et images se superposent et s’entrechoquent. En
    dehors du fait que le flou autour des concepts puisse assurer, à peu de
    frais, un statut de fin connaisseur à celui qui l’entretient, ces termes
    ont pour conséquences de renvoyer à leur « étrangeté » ces « mauvais
    musulmans » qu’on préfère juger que comprendre.

    Le brouillage des termes empêche malheureusement à ceux des
    téléspectateurs qui peuvent éprouver une appréhension légitime à
    l’égard de la religion musulmane de percevoir les vrais enjeux, de
    circonscrire les dangers, de dégonfler les fantasmes et d’écouter
    éventuellement les revendications elles aussi légitimes des musulmans.
    La confusion empêche aux journalistes de se questionner sur leur propre
    rapport à l’« islam » et aboutit à la disqualification de toute
    tentative qui viserait justement à les inciter à mener cette nécessaire
    réflexion.







    P.-S.


    Ce texte est paru également dans la revue Actualis

      La date/heure actuelle est Ven 17 Mai - 6:11